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« Autour de la maison, ça tire de partout, très proche, tout le temps » : la colère envers les chasseurs s’accentue
Par Pascale KrémerPublié hier à 14h00, mis à jour à 05h41Lecture 12 min.
Le chasseur serait-il devenu la nouvelle figure de détestation de l’écologie triomphante ? Sur le terrain, la tension monte et les conflits se multiplient entre pourfendeurs et défenseurs de la chasse.
« Chasse en cours, attention ! » Ce panneau fluo « hérisse » au plus haut point la bibliothécaire à la retraite, d’habitude si tempérée. Un rappel, à ses yeux, de la menace constante. « C’est à nous de nous préserver, comme si la campagne appartenait aux chasseurs ! », s’emporte la septuagénaire, qui réside ici depuis toujours.
« Avec mon mari, nous ne nous promenons plus dans les chemins autour du village, de septembre à février. Une amie s’est fait engueuler parce qu’elle se baladait avec son chien, elle effrayait le gibier… Chez mon frère, des gars qui poursuivaient un animal ont sauté par-dessus la clôture. Comme en temps de guerre, le fusil même pas cassé. Chez la voisine agricultrice, des cavaliers ont déboulé dans la cour, manquant de renverser un enfant. C’est la folie totale ! »
Son nom n’apparaîtra pas. Trop peur d’être stigmatisée. Le maire, lui-même, chasse… Dans son village du Poitou, néanmoins, elle sent l’exaspération gagner du terrain. Au sud de la Loire comme au nord, dans la France des villages comme des zones pavillonnaires périurbaines, monte une nouvelle colère antichasse. « Ras-le-bol », entend-on, de se voir confisquer bois et petits chemins, de trembler au son des détonations incessantes, qui réveillent en sursaut le dimanche matin.
« Marre » de devoir se couvrir de fluo, d’accrocher une clochette au chien, ou de le porter, dès qu’on met un pied en forêt… Jusqu’à ne plus s’y risquer du tout, par crainte de « jouer à la roulette russe » avec les enfants. « Nos week-ends sont synonymes de confinement forcé durant toute la saison de la chasse, soit environ cinq mois par an, déplore cette mère de famille vosgienne. Récemment, ma fille de 11 ans a vu passer devant ses yeux horrifiés le cerf qu’elle observait depuis des mois. Il était sur le capot d’un 4 × 4, mort, la langue pendante, les pattes ficelées. C’est une violence psychologique. Comment peut-on laisser les loisirs des uns perturber à ce point la vie des autres ? »
« Autour de la maison, ça tire de partout, très proche, tout le temps, s’inquiète Thibault Varin, habitant de Saint-Crépin-aux-Bois (Oise). On aimait tant que les biches et cerfs approchent, pourtant… Je ne suis pas militant antichasse, pas végan, je cherche juste la tranquillité. » Chaque jour, durant cette moitié de l’année où les fusils sont décrochés, la presse régionale égrène les faits divers attisant les craintes.
131 accidents en 2018
Huit morts depuis l’ouverture de la saison, en septembre, dont un retraité de Charente-Maritime en pleine cueillette de champignons. Une mère de famille d’Indre-et-Loire a sombré dans le coma après la collision de sa voiture avec un cerf traqué. Des plombs de chasse ont atterri sur un cheval, sur les appuie-tête de véhicules, sur les flancs d’un TGV, dans le blouson d’un VTTiste et l’œil d’un Normand qui tondait sa pelouse…
Les 131 accidents de la saison 2018 (en hausse de 20 %) – avec sept décès –, les 410 morts en vingt ans, tout cela agace bien un peu, à force. Entre « viandards » et « Bambi », les relations virent à l’aigre. L’on s’insulte, se menace de mort, se dénonce pour terrorisme, l’on s’entre-filme, s’en prend aux chats, chiens, poules et pneus de voiture en représailles, l’on s’envoie des gaz lacrymogènes, des coups de fouet et de poing…
Mi-septembre, à quelques encablures de Valenciennes (Nord), une bagarre dans le jardin d’un couple, envahi de chasseurs, a fait trois blessés. En février, Claire Le Potier, une opposante à la vénerie, a été rouée de coups en forêt de Paimpont (Ille-et-Vilaine), et presque noyée dans un fossé par cinq chasseurs – ils ont été condamnés à des peines allant jusqu’à dix mois de prison avec sursis.
81 % des Français ne sont « pas favorables » à la chasse
Aussi vieilles que l’écologie, les tensions sont montées d’un cran dernièrement. A qui la faute ? Sans surprise, les deux camps se « renvoient les balles », en les esquivant.
Les antichasse se prévalent du soutien massif de l’opinion publique dont attestent les sondages. 81 % des Français ne sont « pas favorables » à la chasse, a observé Ipsos (pour l’association One Voice), en octobre 2018 : « Le public la rejette massivement et plébiscite une réforme radicale. » 82 % des personnes interrogées par l’IFOP (fin 2017, pour la Fondation Brigitte Bardot) adhèrent à l’idée d’un « dimanche non chassé », soit 28 % de plus qu’en 2009. De sondage en sondage, aussi, grimpe l’angoisse du malencontreux coup de fusil en campagne (mesurée à 84 % par Ipsos). De quoi motiver les nombreuses pétitions antichasse – 234 000 signatures pour la trêve dominicale (pétition de l’Association pour la protection des animaux sauvages - Aspas), 196 000 « pour une réforme radicale de la chasse » (One Voice).
Forts de ces peurs et désapprobations mêlées, les défenseurs de la cause animale organisent la riposte sur le terrain, hors duquel ils tentent de bouter les carabines.
Depuis 2016, l’Aspas aide les particuliers à soustraire leur jardin aux zones de chasse : 9 000 hectares sont déjà devenus « refuges », et les demandes affluent. Par la magie des cagnottes en ligne, l’association a aussi racheté 1 200 hectares de bois en Bretagne, dans l’Hérault et dans la Drôme.
D’autres collectifs sont bien davantage dans le viseur. Comme le Front de libération animale, qui scie les pieds des miradors dans les monts du Lyonnais ; One Voice, non violente mais infiltrée durant trois ans dans le milieu de la chasse à courre. Ou encore Abolissons la vénerie (AVA), dont les 700 militants se relaient, depuis deux ans, pour gêner les chasseurs dans les forêts de treize départements désormais.
Caméras Go Pro, vidéos diffusées sur le Net… « C’est une arme redoutable, dont l’association L214 s’est servie pour dénoncer les abattoirs. Les gens sont informés grâce aux réseaux sociaux, les images choquantes font le buzz, les médias s’en emparent… On nous propose cafés et chocolats, maintenant, quand on arrive dans les villages », assure Rodolphe Trefier, militant AVA à Compiègne (Oise).
Un vent mauvais s’est levé contre la chasse, qui soulève les casquettes kaki. La démission de Nicolas Hulot, en août 2018, de son poste de ministre de la transition écologique, n’y est pas pour rien, croit Muriel Arnal, présidente et fondatrice de One Voice : « Est alors apparue la puissance du lobby, la tyrannie des porteurs de fusil qui tiennent les manettes du gouvernement. Et avec elle, la colère. »
A reculer de trois pas, l’on jauge mieux le tableau d’ensemble, ces bouleversements sociétaux qui braquent le monde de la chasse. Comme ce chiffre : les possesseurs de permis valides sont 1 million, selon leur fédération nationale. Soit moitié moins qu’il y a quarante ans. Soit 1,5 % de la population, 2,7 % des plus de 20 ans.
Mode des battues au gros gibier
Bien des Français n’en connaissent aucun personnellement. Mais, dans les campagnes, la mode des battues au gros gibier, en bande et en 4 × 4, les rend toujours plus visibles de leurs compatriotes, dont la sensibilité à l’environnement, à la biodiversité et à la souffrance animale s’exacerbe. Plus de rouges-gorges ni de mésanges dans les jardins, et l’on abat 22 millions d’animaux chaque année, dont une moitié d’oiseaux sauvages ? Et l’on élève 15 millions de faisans, perdrix et lièvres pour les offrir aux tirs ?
« Il y a une nouvelle relation avec le vivant, et une prise de conscience que la nature est abîmée, observe Allain Bougrain-Dubourg, aux commandes de la Ligue pour la protection des oiseaux (LPO). Or, la France va trop loin, en chassant soixante-quatre espèces d’oiseaux, contre moins de trente dans les autres pays européens, en moyenne. Parmi ces espèces, une vingtaine sont à l’agonie, comme la tourterelle des bois ou le courlis cendré. L’Europe demande un cessez-le-feu ? La France continue ! Nous avons gagné treize fois devant la justice administrative contre la prolongation de la chasse aux oies cendrées en février, trente fois pour le grand tétras des Pyrénées… Mais les préfets reprennent les mêmes arrêtés chaque année ! »
La chasse pour le simple plaisir de tuer passe de plus en plus mal. Dans sa version utilitaire, son efficacité est questionnée. « On nous vend une régulation des sangliers qui ne fonctionne pas puisqu’ils continuent de proliférer », soutient Pauline Couvent, chez Europe Ecologie-Les Verts. Cerise sur le pâté de faisan : les Français aspirent à une reconnexion avec la nature, à pied, à vélo ou à cheval, peu importe, mais week-ends compris. Conflits d’usage garantis, qu’amplifie encore la périurbanisation. Dans les zones pavillonnaires gagnées sur les champs vivent ceux qui aspirent au calme et au vert. Pas de tirs prévus sur la bande-son de la vidéo familiale. Ni de balles perçant la piscine gonflable.
L’ignorance des néoruraux et des citadins, qui n’ont jamais trucidé une poule ni enfilé de bottes en caoutchouc, voilà qui fait le lit des « tensions croissantes avec une petite frange de la société s’exprimant beaucoup », pour Willy Schraen.
Le président de la Fédération nationale des chasseurs s’érige volontiers en porte-parole du monde rural, « structuré par la chasse, qui y crée aussi du lien social ». « Ce n’est pas la chasse, dit-il, c’est la ruralité dans son ensemble qu’attaquent ces activistes minoritaires, comme les végans. Ils ne supportent pas que d’autres vivent différemment. »
Réouverture des chasses présidentielles
Le chasseur, nouvelle figure de détestation des temps d’écologie triomphante ? « On est mis dans une boîte », regrette Alain Lignier, le directeur de la Fédération de chasse de l’Ardèche, dont le siège a été incendié cet été : « On est dans l’irrationnel. Dès l’instant où l’on se dit pour la chasse, le débat est fermé, même si l’on construit toute l’année la cohabitation avec les fédérations de randonneurs et de cyclistes… Mais la chasse fait partie du paysage quand on vit en campagne, comme les cloches et le coq du voisin ! »
Chasse = ruralité. Le président Emmanuel Macron semble avoir été convaincu de cette équivalence : il a réduit de moitié le prix du permis de chasse national (de 400 à 200 euros), pour relancer une pratique vieillissante, a rouvert les chasses présidentielles, autorisé les silencieux sur les fusils. « Et fait, au total, 42 millions d’euros de cadeaux au monde de la chasse, pour s’offrir ce vernis ruraliste, sans requérir des chasseurs le moindre effort de changement », souligne la fédération France Nature Environnement (FNE), en référence au transfert de missions consenti par les services de l’Etat au profit des fédérations de chasseurs. En décembre 2017, à Chambord (Loir-et-Cher), M. Macron promettait : « Je serai le président qui développera la chasse, vous pourrez toujours compter sur moi. »
Au vu des statistiques, pourtant, le chasseur type n’a pas les traits du paysan tirant le lapin, le dimanche, en compagnie de son fidèle épagneul breton. Les agriculteurs ne représentent que 8 % des détenteurs de permis.
Le gros des bataillons ? Des quinquagénaires ou sexagénaires exerçant une profession libérale ou cadres (à 36 %), citadins les jours de semaine. Et lorsque l’IFOP (pour le Collectif animal politique) évaluait, en janvier, l’approbation des « mesures d’Emmanuel Macron en faveur de la chasse », le non est encore plus massif dans les communes rurales (81 %) qu’au sein de l’agglomération parisienne (76 %).
« Mais les chasseurs se sentent intouchables. Sous la protection du grand patron. Même dans les parcs nationaux, ils sont autorisés. La biodiversité n’est pas protégée », juge Madline Rubin, présidente de l’Aspas. Allain Bougrain-Dubourg acquiesce : « En ce début de XXIe siècle, on ne peut plus traiter la nature comme hier. Les chasseurs se rendent compte qu’on les montre du doigt mais, en même temps, ils sentent un soutien considérable, alors ils se radicalisent. Les antichasse aussi, parce que les cadeaux faits semblent intolérables. »
Chasse (de 91 espèces d’animaux différentes) autorisée toute la semaine en saison, quand le Royaume-Uni, l’Espagne, l’Italie, les Pays-Bas, la Belgique, notamment, ont instauré au moins une trêve hebdomadaire. Chasse en enclos ou parc, d’où les animaux ne peuvent s’échapper. Vénerie, jusqu’à l’épuisement du cerf, chevreuil ou sanglier, et la curée. En mode souterrain, aussi – les blaireaux sont débusqués dans leur terrier par des chiens. Chasse des oiseaux à la glu, au filet, contre lesquelles la Commission européenne a ouvert, en juillet, une procédure d’infraction… Rien de tout cela ne mérite d’être reconsidéré, selon M. Schraen.
Problème des espèces menacées
« Qui chasse dans les champs, les forêts ?, s’enflamme-t-il. Ceux qui possèdent ces territoires ! Les forêts sont privées à 85 % en France. Et dans les forêts domaniales, on chasse au maximum deux jours par semaine, c’est l’Etat qui effectue le partage… Les chasses traditionnelles existaient avant l’arme à feu. La chasse à courre ? Il n’y a que les cons pour ne pas comprendre que l’animal a dix fois plus de chances de se sauver que d’être attrapé. Souvent le cerf est vieux ou malade, c’est la sélection naturelle. Pas le monde des Bisounours ! On est en haut de la chaîne alimentaire, les animaux sont en dessous, c’est l’ordre des choses. Mais nous, les chasseurs, nous incarnons des valeurs mises à mal aujourd’hui… »
Les espèces menacées ? Sûrement pas par la chasse, défend-il encore. « Qui a lancé le principe d’une gestion adaptative, avec des quotas sur des dizaines d’espèces ? Qui travaille en amont sur les causes ? Sur la biodiversité ? Ce ne sont pas ceux qui font des grands discours, à Paris, qui plantent des haies, des arbres, qui entretiennent les zones humides, qui nourrissent les animaux, et qui apportent ainsi 4 milliards d’euros à la nature tous les ans ! »
Pour réponse aux mécontentements, il promet une intensification de la formation à la sécurité, avec stage obligatoire tous les dix ans, à partir de 2020. Que dirait-il d’une visite médicale régulière, avec examen de la vue ? Silence interloqué. « Je n’ai pas l’impression que la vue soit un problème accidentogène dans la chasse. Ni l’alcool, d’ailleurs. »
En Allemagne, les chasseurs ne décrochent leur permis qu’après plusieurs années de préparation théorique – zoobiologie, protection de la faune, maîtrise des chiens… – et d’entraînement au tir ; ils doivent aussi prouver leur aptitude physique.
« Mais, contrairement aux Allemands, aux Britanniques, et par la grande faute des politiques de droite comme de gauche qui leur ont donné raison depuis trente ans, les chasseurs français n’ont pas su se réformer, s’adapter à la très forte évolution culturelle en cours. Ils craignent qu’à lâcher une espèce, une pratique traditionnelle, leur identité ne soit remise en question. Alors ils jouent le tout pour le tout. Mais, à terme, ils courent à leur perte », décrypte Jean-David Abel, chargé de la biodiversité à la FNE après avoir été apiculteur dans la Drôme.
L’hallali des chasseurs ? Le patron de ceux du Bas-Rhin, Gérard Lang, en rigolerait presque. « Etre chasseur, c’est dans nos gènes. Parce que, à l’époque préhistorique, celui qui n’était pas bon chasseur ne survivait pas. »
Aux VTTistes ayant échappé à cette sélection naturelle, la fédération alsacienne offre des chasubles orangées, en période de battue. Un accident est si vite arrivé.
Ce que dit la loi
Votre jardin privatif clos est interdit aux chasseurs, qui ne peuvent y pénétrer. Si votre terrain est ouvert, c’est l’article L 422-1 du Code de l’environnement qui s’applique : « Nul n’a le droit de chasser sur la propriété d’autrui sans le consentement du propriétaire ». Mais dans les très nombreuses communes où la chasse est gérée par une Acca (Association communale de chasse agréée), cet article ne concerne qu’un rayon de 150 mètres autour de l’habitation. Au-delà, le territoire de chasse de l’Acca inclut automatiquement votre terrain non-clos.
Depuis 2001, il est possible (tous les cinq ans, à la date anniversaire de la création de l’Acca) de le retirer de la zone de chasse en exprimant ce vœu par lettre recommandée au préfet, qui prendra un arrêté idoine. Il vous faudra prévenir l’Acca de cette interdiction de chasse, et la signaler par des panneaux. L’association pour la protection des animaux sauvages (Aspas) a accompagné, depuis 2016, dans cette démarche « volontairement complexe » près de 400 particuliers.